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Les Racines du Mal
1 septembre 2004

Dire oui

« Le oui caché en vous est plus fort que tous les non et tous les peut-être dont vous êtes malades, avec votre époque… »
Friedrich Nietzsche
Le Gai Savoir, livre cinquième - 377.

Tu sais bien, Passant, mon compagnon de route, les difficultés que nous rencontrons, ce contre quoi nous luttons, vent debout… Dans le silence assourdissant des ventres repus de nourritures correctement prescrites, dans le reflet des vitrines décorées avec l'or volé aux mains de ceux qui travaillent, dans les paroles sucrées de la pieuvre doxa des bien-pensants, tu reconnais la lame des tueurs de phrases, des massacreurs d'histoire, des équarrisseurs d'espérance.

Depuis le temps des bombes, des tombes, nous avons fait profession de vigilance, nos regards sont aussi aigus qu'un scalpel, nous nous sommes donnés pour tâche de traquer, partout dans et hors de nous, les truquages, les gestes de domination, les mots lâchés comme des molosses, la marque des maîtres derrière les paravents du pouvoir… Nous avons essayé, depuis longtemps, de ne plus croire aux prophètes, de ne pas faire signe à ceux qui nous traînent dans la boue, nous nous sommes jurés de ne faire confiance qu'à ceux qui crient.

Nous avons appris, malgré le peep-show cathodique, à voir derrière leurs images glacées les dents des marchands. Toi et moi, camarade ordinaire, nous avons pris des chemins nouveaux, emprunté des routes pas encore ouvertes, osé penser à contre-courant, pour que restent en quelques endroits des poches de résistance. Si le « moi se pose en s'opposant » : alors nous voilà bien installés. En ces temps où les ruses des pouvoirs sont multipliées par les milliards de liens de notre servitude volontaire, nous avons eu raison de dire non. Il y avait urgence à savoir ce que nous ne voulions pas être, ni faire, ni dire. Il faut toujours, d'abord, comme l'enfant qui se construit, dire non à ce qui menace, ce qui pense à notre place, ce qui nous courbe vers le sol comme une fleur qui meurt de soif. Gardons ces armes, les jours que nous vivons demandent une extrême détermination pour ne pas sombrer dans les béatitudes que l'on nous fabrique.

Mais aujourd'hui, il nous faut aller plus loin. Parce que l'autre ennemi qui nous guette s'appelle cynisme, désenchantement, négation systématique, relativisme blafard où tout se vaut et rien ne vaut jamais rien. Il ne faudrait pas que le non salutaire torde nos bouches en un rictus figé de haine du monde. Détruisons les idoles à coup de marteau, soyons de la dynamite, mais n'oublions pas de dire oui aux lendemains que nous rêvons, à toutes les secondes que nous vivons. Dire oui, c'est maintenant.

Je n'ai pas à te convaincre, passant ordinaire, ni à te présenter la mienne liste de ce qui vaut la peine d'être fait, dit ou vécu. Tu as ton propre chemin et nous nous rejoignons bien avant l'horizon. Nous marchons ensemble, parce que nous le voulons, parce que nous prenons le risque amoureux du combat partagé. Parce que nous pensons que la posture esthétique ne vaut qu'en tant qu'elle est aussi politique des formes, des phrases, du rapport au monde. Parce qu'il faut agir et rêver, jamais l'un sans l'autre, sinon nous n'y arriverons jamais, la beauté de l'utopie est dans les actes d'aujourd'hui, autant que le rêve est vrai.

A ceux que ces mots ennuient, aux cœurs gelés, aux penseurs de l'abîme, prédisons-leur une prochaine période de glaciation très sévère. Le nihilisme fait le lit des programmes sectaires, des sauveurs de l'humanité (« malheur au pays qui a besoin de héros », disait Brecht), des marcheurs au pas… Si rien ne vaut rien, pourquoi pas la décadence, l'ironique inaction, la capitulation des corps ? Non à ceux qui ne savent jamais dire oui.

Il est temps de construire.


Sergio Guagliardi
© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]


Texte dédié ...

  • à Nico, pour son soutien, son affection, sa sensibilité,... en guise de viatique "Haut les coeurs !" pour son départ vers Samarobrive..., en guise d'excuse pour mon "absence" ces derniers jours... Ailleurs, toujours ailleurs... Nemo, 20.000 lieues sous la surface... avec son crabe apprivoisé.
  • à Jean-Baptiste, pour avoir découvert Les Racines du Mal trônant en tête de gondole de la Revue des Blogs à mon retour, cette nuit. Je viens d'en pulvériser d'étonnement mon thé au lotus sur l'écran... Je pensais que la "sévérité" toute relative du propos (ou, à tout le moins, l'aspect peu habituel de longs textes ignorant somptueusement le langage SMS) en faisait un OBNL (Objet Bloguant Non Lu) parfaitement rébarbatif et donc peu sujet à une exposition particulière... C'est Divine Comedy qui t'a fait craquer ? Allez.... avoue !
  • aux lecteurs qui ne fuient pas au bout de dix secondes et prennent le temps de se désaltérer à la source de textes certes parfois ardus...  mais on n'est pas des moules, non plus !

Je vais donc essayer de remettre l'ouvrage sur le métier et de continuer à jouer les "passeuses de mots" même si l'énergie risque d'être de plus en plus défaillante.

Ce blog n'est que ça.
Je ne peux pas prétendre qu'il ne soit pas personnel puisque le choix des textes est éminemment subjectif  (ce que non seulement j'assume mais revendique haut et fort).
Il l'est. Mais pas à la façon d'un "personnel intime". Ça n'est pas le lieu et en dehors de "coups de gueule" ponctuels au sujet de brèves ou de nouvelles qui m'irritent ou me révoltent, Les Racines du Mal continueront d'être ce qu'elles sont : une bibliothèque engagée, partielle et partiale, un lieu de transmission de mots, de verbe, de savoir, d'idées issues d'autres cerveaux que le mien.
Un lieu de partage.
Un lieu de passage.
Passage de témoin.
A vous de faire la course maintenant...

Merci. 

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Commentaires
N
Nous avons tous besoin d' abîmes à traverser, même si la chose paraît impossible à première vue, car ce qui ne nous tue pas ne nous rend que plus forts.<br /> Et puis de toutes manières, si nous ne traversons pas les abîmes pour construire des ponts, des passages pour ceux qui nous suivent (ou nous précèdent, mais là je pars dans un trip à la romancière Carolyn Janice Cherryh !), où irions nous et que ferions nous hein ?<br /> Sûrement pas de la pêche aux moules, m'dame ! :)<br /> Eh bien moi aussi, je suis rudement content de te revoir, tu sais ?<br /> <br /> Nio Lynes/ Nouilles
N
Effectivement, "il n'y a pas de raisons"... et tant mieux si toi ou d'autres y trouvent un intérêt.<br /> Mais il est clair, dans mon esprit que, si certains pourraient souhaiter débattre en commentaires des textes proposés, ça n'est pas mon envie actuelle. Libre à vous.<br /> J'offre à lire. Vous utilisez l'espace offert comme vous l'entendez.<br /> Je lis tous les commentaires.<br /> Je peux réagir ou non. Ça dépend de l'humeur et de l'énergie. Parfois c'est inutile, ce ne serait que surajouter du commentaire à du commentaire, mise en abîme un peu futile.<br /> Parfois je n'ai juste pas envie de me mettre en colère ou de partir dans une confrontation stérile qui m'épuise.<br /> Et j'ai actuellement besoin de toutes mes forces pour autre chose.
Z
C'est un blog très intéressant. Il n'y a pas de raison que tous les blogs suivent la même philosophie dans leur création puis les mêmes tendances dans leur existance. C'est une bonne initiative.
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