Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Racines du Mal
25 juillet 2004

La philosophie féroce

Michel Onfray est un philosophe. Un vrai. Un bon. N'en déplaise aux jaloux qui n'ont pas le quart de son talent et bavent d'envie et de rancoeur frustrée sur ses traces lumineuses et fulgurantes.

Dernièrement est sorti "La philosophie féroce - Exercices anarchistes" chez Galilée.
Ça n'a rien d'ardu à lire. C'est du billet d'humeur, court, provocateur, dérangeant et radical.
Pour le plaisir, j'ai envie de le diffuser ici.

Quatrième de couverture :

"La chronique que donne Michel Onfray tous les mois depuis deux années à Corsica lui permet d'exercer en philosophe hédoniste, athée et libertaire, sur les questions du présent.
Ainsi l'Europe : l'Euro et la fin des États-nations, l'avènement d'un gouvernement planétaire, les réactions nationalistes. Les religions : la puissance néfaste des trois monothéismes, la dangerosité intrinséque de l'islam. Les États-Unis : l'impérialisme planétaire, la guerre coloniale et la violence libérale. La Corse : la fermeture ethniciste, la récupération de l'hospitalité, les méditerranées solaires et nocturnes. L'Élysée : la délinquance haut de gamme, le prétexte de la religion du droit, la nécessité de parachever Mai 68.
Vingt-cinq textes où se manifeste - selon l'expression de Rimbaud - la philosophie féroce."

Citation d'ouverture :

"Il me semble de plus en plus que le philosophe, qui est nécessairement un homme du lendemain et du surlendemain, s'est de tout temps trouvé et devait se trouver en contradiction avec le présent : son ennemi a toujours été l'idéal du jour. Jusqu'ici, tous ces extraordinaires pionniers de l'humanité qu'on appelle philosophes et qui eux-même ont rarement eu le sentiment d'être des ennemis de la sagesse, mais plutôt de désagréables fous et de dangereuses énigmes, se sont assigné pour tâche une tâche dure, involontaire, inéluctable, mais grandiose, être la mauvaise conscience de leur époque."
Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 212.

Préface :

"Je suis natif d'une Normandie en lisière du pays d'Auge, une terre de carte postale avec vaches marron et blanc qui ruminent au milieu de paturâges verts ou de vergers aux pommiers ployant sous les fruits ronds et rouges. Mon village natal se trouve à l'intersection de ce paysage et d'une plaine modeste où se cultivent les céréales ondulantes, blé et orge, avoine et maïs. Et toujours de l'eau, sous toutes ses formes : la pluie, le brouillard, le crachin, les flaques, les mares, les ruisseaux, les rivières, l'ensemble donnant aux verts normands leurs carnations magnifiques. Je suis de cette terre dans laquelle, vraissemblablement, je me décomposerai.
Voilà pourquoi j'aime la Corse. Pour quelles raisons elle est mon luxe. Elle offre l'exacte antithèse de mon quotidien : la Méditerranée, contre le tropisme anglais de la Normandie, l'Afrique, contre les terres hyperborréennes et froides en bordure de la Manche, le soleil, contre les ciels toujours richement couverts et ouvragés de Boudin, les vertus anciennes, presque féodales, d'une île où on peut pratiquer, sans risquer le ridicule, la parole donnée, l'amitié, l'hospitalité, la fidélité, et autres richesses déconsidérées par le continent soucieux de singer l'immoralité avachie des Anglo-Saxons. En Corse, je me sens africain, brûlant, incandescent, contemporain des présocratiques et d'Homère.
Là-bas, comme dans les cinq ou six pays d'Afrique où j'ai expérimenté trop brièvement la chaleur, le désert, le silence et l'espace, je jouis d'un temps luxueux, de durées magnifiques. Quand le continent vit sur le principe d'un temps identifié à l'argent, la Méditerranée réactive le principe des Géorgiques de Virgile : temps préhistorique au sens étymologique d'avant l'histoire, temps des saisons et de la terre, des panètes et de la mer, du cosmos et des vignes. Les hommes acceptent de s'y soumettre exactement à la manière du minéral ou du végétal, consentant à la nécessité avec la volupté de qui sait l'éternité enchâssée dans l'usage voluptueux du présent.
Voilà pourquoi, bien que n'ayant pas le fantasme du propriétaire, quand il m'arrive de rêver à quatre murs que je pourrais acheter, je les imagine en Corse, modestes pour la bâtisse, mais luxueux pour le point de vue : je voudrais, sur une terrasse, pouvoir regarder la mer et ses couleurs changer - bleus, verts, turquoise, noirs, violets, mauves et gris. Puis guetter, sortie de l'onde, l'apparition des figures qui hantent L'Iliade et L'Odyssée. J'y expérimenterais les durées magiques d'un contemporain des Grecs et des Romains, des Africains et des Phéniciens, sachant me souvenir qu'à l'heure des premières traces, aujourd'hui disparues, on racontait les Lybiens - descendants du philosophe Aristippe de Cyrène, l'inventeur du plaisir -, premiers occupants curieux de l'île dévolue aux mystères. Alors, dans la terre qui jouxterait cette grande petite maison, à défaut de glaise normande, je consentirais à une tombe - avec vue sur la mer [1].

[1] Ces vingt-cinq textes ont paru entre janvier 2001 et janvier 2003 dans le mensuel Corsica.
Publicité
Commentaires
Archives
Publicité
Publicité