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Les Racines du Mal
24 août 2004

La règle des lois de l'hospitalité

L'hospitalité procède du panthéon des vertus grecques - avant tout. Dans un monde agraire de paysans, de bergers qui paissent leurs troupeaux en contemporains d'Homère, elle compense l'austérité de l'errance par la certitude d'un supplément d'âme assuré dans l'absolu. Invention hellène, donc. Elle suppose la porte ouverte pour tout -je dis bien tout - passant qui sollicite le gîte et le couvert. On ne lui demande ni d'où il vient, ni où il va, ni qui il est, ni ce qu'il fait, certes, mais pourvu qu'il soit l'Étranger absolu, l'inconnu, le personnage conceptuel du chemineau. Dans l'arsenal primitif, l'hôte offre même son épouse pour le repos du vagabond solitaire... Pour parfaire leur crédibilité, souhaitons que les thuriféraires contemporains de cette vertu séculaire aillent jusque-là !
Pourquoi pratiquer ainsi ? Quelles raisons obligent le pauvre à ouvrir son garde-manger, partager sa pitance, prêter son lit, voire sa femme, faire le nécessaire pour qu'un inconnu ne manque de rien tant qu'il est dans sa maison, sous son propre toit ? Une loi naturelle de bienveillance ? Un sentiment moral présent dans le coeur des hommes avant toute loi positive ? Non, pas du tout. Ce qui rend l'hospitalité nécessaire, sacrée, absolue, c'est le regard des dieux. Des dieux ou de Dieu. La générosité vaut comme une assurance vie pour après la vie... Ce geste est un acompte sur le salut.
En théorie, les chrétiens y invitent, les mulsulmans également. Non qu'ils brillent de tous les feux éthiques de manière quintessencée, mais parce qu'ils achètent ainsi leur paradis. Au bout de la table médiévale ou sous la tente du bédouin, le pain partagé, la couche offerte témoignent : ce que l'on fait au plus petit d'entre les hommes, c'est à Dieu qu'on le fait. Le bien comme le mal... De sorte que l'on imagine difficilement une pratique de l'hospitalité qui, pour s'exercer, irait contre le désir des dieux - ou de Dieu. Ouvrir sciemment sa porte au diable ne peut réjouir l'idole des monothéistes.
Peut-on se réclamer de cette vertu de manière postchrétienne ? Est-on interdit d'aimer l'hospitalité, de la pratiquer et de s'en réclamer si l'on ne croit pas au ciel ? Non bien sûr. Quelques ajustements sont nécessaires intellectuellement, voilà tout. Lesquels ? Dire par exemple qu'une hospitalité qui se refuse à l'Autre absolu et se pratique exclusivement avec le Même absolu n'en est pas une. Qui se cache derrière le Même absolu ? Mon frère, mon ami, mon père, ma mère, mon cousin, mon voisin : à quoi rime un devoir d'aimer ceux qu'on aime naturellement ? Quid d'une injonction à faire ce que, de fait, par affection, on pratique sans obligation ni contrainte ? Il n'existe aucun devoir d'aimer ceux qu'on aime... En revanche, ce devoir fonctionne pour l'Autre, l'Inconnu, le Vagabond, l'Errant, le Tiers - le Pinzuti pour le dire dans le langage de l'île (*). A savoir : l'Arabe, le Continental, le Touriste, le Parisien, voire celui qui vient de Bastia pour l'homme d'Ajaccio, ou l'inverse ! Le Dissemblable radical, voilà l'hôte essentiel.
A l'évidence, l'hospitalité n'est pas un crime tant qu'elle se pratique comme le geste généreux du sédentaire à l'endroit du passant absolu. En revanche, revendiquée par ceux qui peignent sur les murs les Français dehors ou les Arabes dehors, il y a un problème : le mot ne convient plus. Car refuser l'hospitalité du Dissemblable signe toute politique qui se fait une spécialité de la Haine de qui n'est pas soi. Au XXème siècle, du IIIème Reich au Rwanda en passant par Vichy et la Serbie, les exemples n'ont pas manqué...

(*) NdlR : entendre par là, la Corse puisque ce texte fut écrit pour le magazine Corsica.

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Commentaires
Z
Je signale une erreur majeure .. si la théologie du Coran contient effectivement une notion de points gagnés (par exemple les prières lors du mois du ramadan qui comptent plus que les autres, celle en particulier de la nuit ou Mahomet reçoit l'enseignement d'un ange), la théologie chrétienne souligne à maintes reprises que la notion de salut est gratuite. Selon elle le salut est procuré par la foi grâce au sacrifice accepté par Jésus. Bien entendu l'église catholique à quelque peu divergé avec les siècles (notions de purgatoire, d'indulgences ..). Il reste néanmoins que l'hospitalité est une valeur défendue par la bible, mais non au titre d'avantages mis de côté.
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