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Les Racines du Mal
19 août 2004

La courbure du droit

Lorsque jeune étudiant je travaillais à ma thèse de philosophie politique et juridique, ma directrice et moi achoppions sur presque tous les auteurs : j'aimais ceux qu'elle ne portait pas dans son coeur - Helvétius, Marx, Nietzsche -, elle chérissait ceux que j'abominais - Hobbes, Kant, Montesquieu... Pas plus que nous ne lisions en accord tel ou tel que nous aimions en commun. Ainsi La Boétie qu'elle voulait légitimiste quand je le voyais père de toutes les résistances, donc inventeur du tempérament libertaire ! Mais j'aimais sa droiture, son goût du travail bien fait et j'étais sensible à son désir de me conduire dans l'histoire des idées.
Aujourd'hui je pense souvent à nos discussions. Notamment sur la question du droit. En platonicienne, elle le voyait descendu du ciel, tel un substitut laïc de Dieu. Elle était une dévote de la Loi parce qu'une socité sans loi, c'est l'anarchie, le pire des maux. Je regimbais au Droit et à la Loi qu'en marxiste je voyais telle une règle du jeu imposée par les puissants pour légitimer leur domination et leur ascendant sur les démunis, les faibles - leurs victimes. Je persiste dans cette analyse.
La preuve de ce que j'avance se trouve dans l'histoire du droit. Ainsi, lorsque le Code théodosien (435) promulgue des lois qui légitiment la persécution, le dépouillement, l'arrestation, la torture, la mise à mort d'hérétiques, de païens dont le tort consite à ne pas aimer leurs prochains à la manière de leurs persécuteurs ; de même avec le Code noir (1685) qui légalise l'exploitation, la déportation, la soumission de millions d'Africains et d'Antillais transformés en bétail pour la nécessité du colonialisme des marchands de l'époque ; ainsi des lois antisémites nationales-socialistes (1933) ou de Vichy (1940) qui édictent le droit de frapper, spolier, déporter dans des camps, transformer en sous-homes ceux qui n'ont pas l'heur d'être aryens, blancs, hétérosexuels, chrétiens, de droite...
De sorte que je suis moins soucieux d'une Justice définie par le Droit et la Loi que d'une Justice exprimée par-delà la positivité juridique toujours mise en branle pour justifier et légitimer la puissance des puissants, puis rendre illégale et illégitime l'insoumission de rebelles potentiels. contre la Justice légale et ses palais, ses hommes dits de loi - si souvent au-dessus d'elle... -, je préfère une justice qui renvoie à l'équité. L'équité ? Ce qui revient à chacun selon le principe d'une justice naturelle, indépendamment des cristallisations politiques et juridiques du moment. A l'évidence, cette nature ne procède pas du droit naturel des chrétiens qui cachent sous cette expression la toute-puissance de leur Dieu ; elle nomme plutôt ce qui révulse, met en colère, ébranle et renvoie au compagnonnage avec les déshérités, les démunis, les oubliés, les sans-grade, les déchets du système libéral.
Le sentiment de cette justice malgré le droit s'exprime devant les quinze mille morts emportés par la canicule et dont le tort fut d'être vieux et sans pouvoir ; il se manifeste en présence des ouvriers licenciés par leurs employeurs qui partent sévir aileurs, les poches gonflées d'indemnités mirifiques ; il surgit au spectacle des anonymes qui, l'hiver, meurent de froid par dizaines dans des caves et sur des trottoirs ; il existe face aux guerres menées par l'impérialisme américain pour des intérêts d'argent ; il agit si l'on considère les prisons où la société animalise ceux à qui elle reproche ensuite d'être des bêtes. Pour cette justice, pas besoin d'en appeler au Droit. Il suffit d'agir contre la Loi toujours appelée à devenir caduque.
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